Le Modèle Standard (MS) représente la théorie la plus aboutie et la plus vérifiée expérimentalement de la physique des particules. Cette théorie quantique des champs décrit 17 particules élémentaires fondamentales et leurs interactions par le biais de trois des quatre forces fondamentales de la nature : l'interaction électromagnétique, l'interaction faible et l'interaction forte (la gravitation n'étant pas incluse dans le MS).
Développé principalement entre les années 1960 et 1970, et confirmé par la découverte du boson de Higgs en 2012 au CERN, le Modèle Standard constitue le cadre théorique de référence pour comprendre la structure fondamentale de la matière à l'échelle subatomique.
Le Modèle Standard classe les particules élémentaires en deux catégories fondamentales selon leur statistique quantique :
Les fermions constituent la matière et obéissent au principe d'exclusion de Pauli. Ils se subdivisent en :
Ces 12 fermions sont organisés en trois générations, chaque génération étant plus massive que la précédente.
Les bosons sont les médiateurs des interactions fondamentales et obéissent à la statistique de Bose-Einstein :
Le Modèle Standard est construit sur le groupe de symétrie SU(3)C × SU(2)L × U(1)Y :
où C désigne la charge de couleur, L la chiralité gauche, et Y l'hypercharge faible.
| Interaction | Groupe de jauge | Bosons médiateurs | Charge couplée | Intensité relative |
|---|---|---|---|---|
| Forte | SU(3)C | 8 gluons (g) | Charge de couleur | 1 |
| Électromagnétique | U(1)EM | Photon (γ) | Charge électrique | 10-2 |
| Faible | SU(2)L × U(1)Y | W±, Z⁰ | Isospin faible, hypercharge | 10-6 |
Les quarks sont des fermions de spin 1/2 portant une charge de couleur (rouge, vert, bleu) et une charge électrique fractionnaire. Ils ne peuvent exister isolément en raison du phénomène de confinement de couleur.
Chaque quark est caractérisé par plusieurs nombres quantiques :
Les leptons sont des fermions ne subissant pas l'interaction forte. Ils comprennent trois particules chargées et trois neutrinos électriquement neutres.
Dans le Modèle Standard, chaque saveur leptonique possède un nombre leptonique conservé séparément :
Les oscillations de neutrinos violent cette conservation de saveur mais conservent le nombre leptonique total L = Le + Lμ + Lτ.
Le photon est le quantum du champ électromagnétique, médiateur de l'interaction électromagnétique décrite par l'Électrodynamique Quantique (QED).
Lagrangien QED :
où Dμ = ∂μ + ieAμ est la dérivée covariante et Fμν = ∂μAν - ∂νAμ le tenseur du champ électromagnétique.
La constante de couplage α ≈ 1/137 (constante de structure fine) caractérise l'intensité de l'interaction. La QED est la théorie physique la plus précise jamais testée (accord théorie-expérience à 10⁻¹² près pour le moment magnétique anomal de l'électron).
Les gluons sont les médiateurs de l'interaction forte décrite par la Chromodynamique Quantique (QCD), fondée sur la symétrie de jauge SU(3)C.
Caractéristique unique : Les gluons portent eux-mêmes une charge de couleur, ce qui entraîne leur auto-interaction. Contrairement aux photons, les gluons interagissent entre eux, créant des phénomènes spécifiques :
Lagrangien QCD :
où Dμ = ∂μ - igsTaGaμ et Gaμν = ∂μGaν - ∂νGaμ + gsfabcGbμGcν
Les constantes de structure fabc du groupe SU(3) encodent l'auto-interaction des gluons.
Les bosons W± et Z⁰ sont les médiateurs de l'interaction faible, responsable notamment de la radioactivité β et de la fusion nucléaire solaire.
Découverte historique : Détectés en 1983 au CERN par les expériences UA1 et UA2 (Carlo Rubbia et Simon van der Meer, Prix Nobel 1984), confirmant la théorie électrofaible de Glashow-Weinberg-Salam.
Interactions médiées :
La masse élevée de ces bosons (contrairement au photon sans masse) limite la portée de l'interaction faible à ~10⁻¹⁸ m, expliquant sa faiblesse apparente à basse énergie.
Matrice CKM : Les transitions de quarks via W± sont décrites par la matrice de Cabibbo-Kobayashi-Maskawa, unitaire 3×3, contenant une phase complexe responsable de la violation CP :
| Interaction | Médiateur | Portée | Intensité relative | Symétrie | Particules affectées |
|---|---|---|---|---|---|
| Forte | 8 gluons (g) | ~10⁻¹⁵ m | 1 | SU(3)C | Quarks |
| Électromagnétique | Photon (γ) | Infinie (1/r²) | 10⁻² | U(1)EM | Particules chargées |
| Faible | W±, Z⁰ | ~10⁻¹⁸ m | 10⁻⁶ | SU(2)L × U(1)Y | Tous les fermions |
| Gravitationnelle | Graviton (hypothétique) | Infinie (1/r²) | 10⁻³⁹ | Diff(M) | Toutes (masse-énergie) |
La théorie électrofaible de Glashow, Weinberg et Salam (Prix Nobel 1979) unifie l'interaction électromagnétique et l'interaction faible en une seule interaction, fondée sur le groupe de jauge SU(2)L × U(1)Y.
Brisure spontanée de symétrie :
À haute énergie (> 100 GeV), les interactions électromagnétique et faible sont unifiées. À basse énergie, le mécanisme de Higgs brise spontanément la symétrie électrofaible :
Cette brisure génère les masses des bosons W et Z, tout en préservant la masse nulle du photon. L'angle de Weinberg θW relie ces bosons :
Les bosons physiques W±, Z⁰ et γ sont des combinaisons linéaires des bosons de jauge initiaux W1,2,3 et B :
Le Modèle Standard est une théorie renormalisable, permettant des calculs à toutes les précisions. Les corrections radiatives (boucles quantiques) prédisent avec une extrême précision les observables électrofaibles mesurées au LEP, SLC et Tevatron.
Tests de précision au LEP :
Ces mesures confirment la structure à trois générations et contraignent fortement toute nouvelle physique.
Dans une théorie de jauge pure, les termes de masse pour les fermions et bosons de jauge violent la symétrie de jauge et donc la renormalisabilité. Le mécanisme de Higgs résout élégamment ce problème.
Champ de Higgs :
On introduit un doublet scalaire complexe de SU(2)L :
avec le potentiel (potentiel de "chapeau mexicain") :
Pour μ² > 0 et λ > 0, le minimum du potentiel n'est pas en Φ = 0 mais en :
Cette valeur dans le vide (VEV) v = 246 GeV fixe l'échelle de la brisure électrofaible.
Masses des bosons de jauge :
Lorsque le champ de Higgs acquiert sa VEV, les bosons W et Z acquièrent une masse via le terme cinétique :
Masses des fermions :
Les masses des quarks et leptons proviennent des couplages de Yukawa avec le champ de Higgs :
Après brisure de symétrie : mf = yfv/√2
Les couplages de Yukawa varient énormément (ytop ≈ 1, yelectron ≈ 3×10⁻⁶), expliquant l'immense hiérarchie des masses fermioniques, mais leur origine reste un mystère profond (problème de la hiérarchie des saveurs).
Découverte historique :
Le 4 juillet 2012, les collaborations ATLAS et CMS au LHC (CERN) annoncent la découverte d'une nouvelle particule compatible avec le boson de Higgs, avec une signifiance statistique de 5σ. Cette découverte vaut le Prix Nobel de Physique 2013 à François Englert et Peter Higgs.
Modes de production au LHC :
Principaux canaux de désintégration :
Le rapport de branchement dans chaque canal est proportionnel au carré du couplage de Yukawa, testant directement le mécanisme de génération de masse.
Mesures de couplages :
Les expériences ATLAS et CMS mesurent les couplages du Higgs aux différentes particules. À ce jour, tous sont compatibles avec les prédictions du MS :
La relation κf ∝ mf est vérifiée sur plusieurs ordres de grandeur, confirmant le mécanisme de Higgs comme source des masses fermioniques.
Malgré son succès éclatant, le Modèle Standard présente des limitations conceptuelles et empiriques significatives :
La masse du Higgs (125 GeV) est instable face aux corrections quantiques. Les boucles virtuelles de particules génèrent des corrections quadratiques divergentes :
où Λ est l'échelle de coupure (énergie de nouvelle physique). Pour Λ ~ échelle de Planck (10¹⁹ GeV), δmH devrait être ~10¹⁷ fois plus grand que la valeur observée, nécessitant un ajustement fin (fine-tuning) de 1 partie sur 10³⁴.
Solutions proposées : Supersymétrie (SUSY), compositeness du Higgs, dimensions supplémentaires.
Le MS contient 26 paramètres libres (masses, couplages, angles de mélange, phases CP) déterminés uniquement par l'expérience, sans explication théorique :
La quantification exacte de la charge électrique (Qproton + Qelectron = 0 à 10⁻²¹ près) n'est pas expliquée dans le MS. Dans les Théories de Grande Unification (GUT), cette quantification résulte naturellement de la structure du groupe de jauge unifié.
Les neutrinos du MS sont strictement sans masse. Les oscillations de neutrinos, observées depuis 1998 (Super-Kamiokande), prouvent que νe, νμ, ντ ont des masses non nulles (Δm² ~ 10⁻³ - 10⁻⁵ eV²).
Ceci constitue la première preuve expérimentale de physique au-delà du MS. Les masses peuvent être générées par :
Les observations astrophysiques et cosmologiques (rotation des galaxies, lentilles gravitationnelles, CMB) indiquent que ~85% de la matière de l'Univers est composée de matière noire, n'interagissant ni électromagnétiquement ni fortement.
Densité de matière noire : ΩDMh² = 0,120 ± 0,001 (Planck 2018)
Aucune particule du MS ne peut constituer cette matière noire. Candidats au-delà du MS : WIMPs (neutralinos SUSY), axions, neutrinos stériles.
L'Univers observable est constitué quasi-exclusivement de matière. Le rapport baryon-photon η = (6,1 ± 0,1) × 10⁻¹⁰ implique une asymétrie primordiale.
Les conditions de Sakharov pour générer cette asymétrie sont :
La violation CP du MS (phase de la matrice CKM) est insuffisante de ~10 ordres de grandeur pour expliquer l'asymétrie observée.
L'Univers subit une expansion accélérée depuis ~4 milliards d'années, attribuée à l'énergie noire (ΩΛ ~ 0,69).
La densité d'énergie du vide prédite par le MS (fluctuations quantiques) est ~10¹²⁰ fois supérieure à la valeur observée : pire prédiction de l'histoire de la physique (problème de la constante cosmologique).
Le MS est incompatible avec la Relativité Générale. La gravitation n'est pas renormalisable comme théorie quantique des champs à 4 dimensions.
Théories candidates pour une gravitation quantique : Théorie des cordes, Gravitation quantique à boucles, mais aucune vérification expérimentale à ce jour.
Écarts potentiels nécessitant confirmation :
Ces anomalies, si confirmées, pourraient indiquer une physique au-delà du Modèle Standard.